Françoise Rang: Administrateur
Nombre de messages : 5664 Localisation : Vendin-le-Vieil(62) Emploi : ex professeur de philosophie Loisirs : La gestion de mes sites, loisirs créatifs:peinture, Peinture, tricot, crochet, reborning, créations d'animaux en tissu et au crochet. Date d'inscription : 31/01/2005
| Sujet: Coup de gueule de Cavanna Mar 11 Juil - 12:33 | |
| Les abandonneurs: Écoutez. Le tuer, j’ai pas le cœur. Alors, je vous l’amène. Vous, vous les tuez pas. Vous les sauvez. Un refuge, c’est fait pour ça, pour les sauver. Alors bon, le voilà ! C’est à prendre ou à laisser. Si vous en voulez pas, j’irai le perdre dans les bois. Je l’attacherai à un arbre, pour ne pas qu’il me coure derrière, vous savez comment ils sont, paraît qu’il y en a qui ont retrouvé leur maison après des centaines de kilomètres, alors vaut mieux l’attacher et puis se sauver, pas l’entendre crier, c’est trop triste, on n’est pas des bêtes. Bon, vous le prenez, ou vous le prenez pas ? Faut vous décider, j’ai pas que ça à faire, on n’a pas encore fini les bagages. Évidemment, il ou elle le prend. Quoi faire d’autre ? Le bon salaud le sait bien. Quand on gère un refuge pour animaux, c’est qu’on a le cœur tendre, qu’on ne peut absolument pas supporter l’idée qu’une bête souffre, soit abandonnée, perdue, vouée à la piqûre, fatale, ou pis, aux pourvoyeurs des laboratoires. Les pseudos-amis des bêtes qui, lorsque le chien ne veut plus chasser, ou bien est devenu trop vieux, ou bien a osé donner un coup de dent au sale môme qui le harcèle, ou lorsque le mignon chaton offert pour Noël est devenu au 14 juillet, un gros matou qui a son caractère et ne veut plus jouer les nounours en peluche, ou encore lorsque “ces gentils compagnons” se mettent à être malades et coûtent “les yeux de la tête” en visites au véto, ces salopards délicats qui décident de les supprimer mais n’ont pas le courage de faire le vilain geste qui tue vont les déposer à la porte du refuge (variantes : ils les jettent par-dessus le grillage, ils enferment dans une boite en carton la chatte miaulante et ses petits...) comme on déposait jadis les nouveaux nés non désirés à la porte des couvents. Fonder un refuge pour animaux est la pire façon de s’empoisonner la vie. Non seulement cela ne peut pas rapporter d’argent (les abandonneurs ne laissent jamais de quoi acheter un peu de bouffe, cela ne leur vient même pas à l’idée), mais c’est un gouffre financier. Fonder un refuge ne peut être qu’une action bénévole et précaire, un élan de révolte contre l’indifférence générale devant l’omniprésence de la misère animale. C’est le fait d’âmes sensibles qui mettent sur le même plan toute souffrance, toute angoisse, humaine ou non humaine. La plupart du temps, dans le cas des petits refuges, il s’agit de gens à faibles ressources qui s’épuisent à mener un combat sans fin comme sans espoir, mais qui ne pourraient pas ne pas le mener. Ils sont parfois aidés par de maigres subventions (dans le meilleur des cas), par la générosité de quelques adhérents, mais en général abandonnés à leurs seules ressources personnelles. Un refuge est vite submergé. Là comme ailleurs, la mode imposée par les éleveurs et la publicité des fabricants d’aliments ont stimulé une frénésie d’achat dont les conséquences sont la versatilité du public et la cupidité des éleveurs et des marchands. La “rentabilité” exige qu’une femelle d’une race “vendeuse” ponde et ponde jusqu’à en crever. On achète par caprice, le caprice passé on est bien emmerdé, et comme on n’est pas des tueurs on se débarrasse, au plus proche refuge. Et là, c’est le chantage cynique de tout à l’heure : “Vous le prenez ou je vais le perdre”. C’est exactement le coup de l’otage à qui le malfrat a mis le couteau sur la carotide : “Vous me la donnez la caisse ou je l’égorge.” On ne sait pas assez, même chez ceux qui considèrent l’animal comme un être vivant et souffrant à part entière (je n’aime pas dire “amis des bêtes”), quelle terrible et décourageante corvée est la gestion d’un refuge quand on dispose de peu de moyens. Pour un animal placé à grand-peine, il en arrive dix, vingt, cent ! Cela vous dévore la vie, vous écrase sous une conviction d’inéluctable impuissance. Beaucoup de petits refuges de province luttent envers et contre tous, ignorés, méprisés, abandonnés à leurs seules ressources, et, cela va de soi, en butte aux sarcasmes des imbéciles et aux froncements de sourcils des vertueux qui jugent bien futile de s’occuper d’animaux alors qu’il y a tant de détresses humaines... Et quand l’apôtre qui a englouti sa vie dans un refuge meurt ou devient impotent, que deviennent les bêtes ? Pardi, l’euthanasie en masse par les services de l’hygiène publique, pas fâchés d’être débarrassés. Savez-vous que, si vous possédez plus de 9 chiens, vous devenez de ce seul fait “refuge” et devez déclarer la chose à votre mairie et à la D.S.V. (Direction des Services Vétérinaires) ? A partir de là, vous serez soumis aux inspections d’usage concernant les règles d’hygiène, de sécurité, etc. En somme le bénévolat est pénalisé. Tout se passe comme si la seule voie “normale” était l’euthanasie systématique, le sauvetage étant considéré comme anormal, suspect et fortement découragé. Il faut que l’animal cesse d’être considéré comme un objet, un bien “meuble” qu’on achète, qu’on vend, qu’on cède, avec à peine quelques restrictions concernant les “mauvais traitements”, d’ailleurs bien légèrement punis. Il faut que la survenue d’un animal dans un foyer soit aussi grave, aussi importante, aussi contraignante que la naissance d’un enfant. C’est le formidable et trop prévu nombre d’abandons liés aux départs en vacances qui m’a mordu au cul. Savez-vous qu’ils font la queue aux portes des refuges, les enfoirés, avant d’aller faire bronzer leurs gueules de sales cons ? “Avec la planche à voile sur le toit de la voiture” m’a-t-on confié. Que leurs têtes, à ces sous-merdes, volent haut dans l’air, propulsées par les pales tranchantes des hélices des hors-bord, pêle-mêle avec celles des toréadors et des aficionados ! PS : Vous qui les aimez, faites les STÉRILISER ! Les laisser proliférer est criminel : ce sont ces portées innombrables qui fournissent la matière première des vivisecteurs et condamnent les refuges au naufrage François CAVANNA
La gloire du taureau
Le Parisien a le Tour de France. Le Monde a la corrida. C’est pas le même public. Une fois ou deux dans l’année, Jean Lacouture — qui ne fait pas que ça mais fait aussi ça, et avec quelle passion ! — Jean Lacouture se paie dans Le Monde son encadré vedette sur l’art sublime et cruel de la tauromachie. Avec le lyrisme sobre et le vocabulaire choisi qu’impose le genre. Comme les choses de cheval et de voile, la course de taureaux se veut une connivence, un ésotérisme, c’est pas tout le monde qui peut en parler de but en blanc, faut une initiation, c’est justement ça qui plaît tant aux gros cons. Lacouture, qui d’habitude écrit plutôt proprement, perd ici les pédales et trouducute aficionado avec des fulgurances qui se veulent hautaines et ne sont que du Montherlant au rabais. Aussi con que Montherlant, plus c’est pas possible, mais du Montherlant crotte de bique, si vous voyez… Vendredi dernier, Lacouture nous apprit que, par la vertu de certain « nouveau règlement », « le temps des veaux est passé ». Chic ! On ne verra plus « combattre » (tu parles !) dans l’arène que des vrais mâles de quatre ans, avec du poil au cœur et du piquant aux cornes, au lieu de ces lamentables « adolescents sans malice » qui, depuis trente ans, nous apprend Lacouture, « bêtes immobiles de stupeur infantile », ont rabaissé la tauromachie à n’être plus qu’une simple branche du ballet. Honte. Au passage nous apprenons que les prestigieux Manolete et El Cordobès, dont Lacouture ou d’autres Lacouture ont tant exalté la folle audace, n’étaient que des truqueurs, des trouillards, des faiseurs, des danseurs… Le public n’en était pas moins enthousiaste, les littérateurs spécialisés « sang et lumière » pas moins délirants , les « veaux immobiles de stupeur infantile » pas moins mis à mort après savantes tortures aux banderilles sous les hurlements d’une foule de pauvres cons sadiques qui n’ont que ça le dimanche, après la messe et avant le coït… Mais Jacques Brel a déjà gueulé tout ça, et tellement bien ! Ceci à l’occasion d’une « féria » donnée à Mont-de-Marsan. (A propos, savez-vous que la corrida avec mise à mort est en train de salement gagner du terrain en France ? Toute une clique de faiseurs de pognon s’en occupe activement, bien secondée par quelques gens de plume inspirés… Les études de marché l’ont prouvé : il y a un public. Voilà un résultat positif des vacances en Espagne. Si nous ne leur avons pas apporté la démocratie, du moins nous ont-ils donné leur merde.) Je hais la corrida. Parce que je hais la mort. La mort n’est pas un spectacle. La mort n’est pas un jeu. Surtout la mort des autres. Les autres : les taureaux, je veux dire. Quant aux petits connards déguisés pleins de paillettes qui gambadent et font les beaux devant les cornes, qu’ils crèvent, ils l’ont bien cherché. Et que crèvent les grasses merdes qui vont se chatouiller les glandes génitales à applaudir ça. Impayables, les mépris de Lacouture pour certains toreros qu’il estime « vulgaires » ! Comme si la corrida tout entière n’était pas, dans son principe et dans son cérémonial, la vulgarité même, la vulgarité au front bas, arrogante, épaisse, souveraine, barbouillée, caricature outrée de ce que les imbéciles croient être la noblesse, grand d’Espagne singé par un gugusse qui ne rigole pas… Et cette affectation à « estimer » le « noble adversaire » quand le taureau, pauvre con, s’est « bien battu » ! Un torero indigne « bafoue » le « noble animal »… Qui, n’empêche, oppose une « aveugle fureur à l’art subtil de l’homme-dieu »… On affecte de lui rendre les honneurs, au toro, comme le chasseur au cerf qui s’est bien défendu, c’est-à-dire lui a procuré une chasse un peu intéressante, mais bien vite on insulte, puisque après tout il n’est là que comme repoussoir, la grosse brute. Et quand par hasard il refuse le jeu, n’est pas combatif, alors, là, pardon, quel torrent d’injures ! Quel égout ! A pourtant pas demandé à être là, le taureau. Vos jeux de cons, vous lui avez pas proposé gentiment si ça lui disait ou pas. Si j’étais taureau, je me coucherais par terre et j’attendrais l’égorgeur. Pas compter sur moi pour participer, merde. Jamais la moindre pitié. Ça ne leur vient même pas à l’idée, aux délicats amateurs. Quand Lacouture déplore certaines pratiques destinées à amoindrir la bête : « … Si un certain régime alimentaire ou on ne sait quelle drogue ou châtiment préalable lui donne des pattes de flanelle, si l’image de ses cornes et les brutalités qui l’accompagnent lui infligent un choc psychique irrémédiable, il redevient ce veau insipide, cet infirme dont on prétend guérir la tauromachie… », c’est uniquement au nom du noble art dégradé, du spectacle raté. Et d’exalter par contraste la « dignité » des taureaux sauvages ! Je sais, la réplique est au point — depuis le temps ! — et bien rodée : nous autres qui n’aimons pas ça sommes des sensiblards, des dégénérés, et en plus des grossiers incapables de transcender l’anecdote de la bébête assassinée pour n’être plus que poésie sauvage et atroce beauté, flamber corps et âme dans ce brasier de sang et d’or où l’homme, seul face à lui-même, minute de vérité, ô sommets, ô pourpre, ô sauvage grandeur, gningningnin… Allez vous faire foutre, merdeux sanglants, chercheurs d’inouï à deux ronds, pisse-copie vautrés dans les caillots, les tripes et la merde, sourds aux meuglements d’agonie, attachés, branleurs esthètes, à apprécier le fini d’une « véronique » ciselée par une petite frappe à l’œil sec dont c’était la seule chance d’échapper à l’usine… Tiens, Lacouture, tu me fais dégueuler. La tauromachie, spectacle pour SS. On aurait envie de croire que ces cochonneries ne s’expliquent que dans un pays abruti par un Franco… Mais le Mexique ? Mais le Portugal ? Mais Mont-de-Marsan, Arles, Nîmes ? Une question (ridicule) : quelle formation politique du Portugal actuel a-t-elle inscrit à son programme la suppression des courses de taureaux ? Quelle formation politique de l’Espagne future ? Quelle formation politique de la gauche française progressiste et généreuse ?
Extrait de Cavanna à Charlie Hebdo, 1969-1981, Je l’ai pas lu, je l’ai pas vu… mais j’en ai entendu causer, éditions Hoëbeke, octobre 2005, 470 pages, 24 euros. | |
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Invité Invité
| Sujet: Re: Coup de gueule de Cavanna Mer 8 Nov - 11:35 | |
| - Françoise a écrit:
- Les abandonneurs:
ou encore lorsque “ces gentils compagnons” se mettent à être malades et coûtent “les yeux de la tête” en visites au véto, ces salopards délicats qui décident de les supprimer mais n’ont pas le courage de faire le vilain geste qui tue vont les déposer à la porte du refuge. Bonjour. Le texte de Cavanna, (je ne connaissais pas cette personne jusqu'à présent) est vraiment mordant. J'ai été confrontée au problème des consultations de véto qui coûtent "les yeux de la tête". Et c'est moche à dire, mais il m'a déjà traversé l'esprit de donner Mon animal, pour épargner mon chéquier. Mais je n'ai jamais pu m'y résoudre, car cette boule de poil, craintive et réservée la plupart du temps, vient, le matin, quand sonne mon réveil et que je ne l'ai pas entendu, me léchouiller les mains, le visage, tout ce qui dépasse de la couette, pour me réveiller. Il est aussi de très bonne compagnie, devant la télé, lorsqu'il essaie d'attrapper les petits acteurs des documentaires animaliers. Il me donne des crises de rires! Ensuite, quand je vais me coucher, il me suit et me fait tous les câlins du monde en ronronnant de toutes ses forces. Ce sont ces moments de tendre complicité qui m'attachent encore et encore à Gribouille, et si seulement ces "abandonneurs" repensaient à l'amour que leur témoigne jour après jour leur petit compagnon, ils renonceraient aussi à être des "abandonneurs"... |
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